La peinture d’Aurore Pallet combine le travestissement des formes, la mobilisation du document et l’exploration des proximités formelles. Chaque série est une histoire en plusieurs chapitres où la forme révèle la condition d’un état de l’action humaine. Elle construit des hypothèses sur le monde en mobilisant des concepts classiques, point d’appui d’un travail qui se saisit du document, du mythe et de ses symboles. L’humanité est scrutée au travers du drame et du fait historique. Ces hypothèses sont des ouvertures sur l’interprétation humaine des phénomènes, créant des images mentales. Les déchaînements de la nature ne sont-ils pas les métaphores de la folie humaine ? Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse doit affronter les vents libérés par le dieu Eole. Sa grotte de lave à Stromboli en Sicile, où Rossellini filma Ingrid Bergman dans le rôle d’une femme prisonnière de l’île, est un lieu de mythologie perpétuelle. C’est aussi sur une île déserte que Prospero et Miranda se retrouvent dans la Tempête de William Shakespeare. L’exploration du paysage moteur de l’action rappelle également les grands thèmes de la peinture classique, comme Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé de Nicolas Poussin où les éléments déchaînés évoquent les passions troublées et le mystère d’une nature indomptable. Et de la peinture romantique allemande, lieu d’une réflexion philosophique sur le rapport de l’individu face à l’immensité des paysages. L’évocation de la tornade est aussi celle du cinéma américain avec Twister de Jan de Bont en 1996 ou Take Shelter de Jeff Nichols en 2011. C’est aussi la tornade qui emporte Dorothée dans le Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum, élément déclencheur de l’aventure du livre. Avec les tempêtes et des déluges, les comportements humains, en proie au doute et à la survie, sont révélés. Au seuil de la tempête, avant que la catastrophe ne se produise, tout est encore possible, au bord du basculement. Aurore Pallet a notamment porté son attention sur les chasseurs d’orages et de leurs inlassables pérégrinations. Ils appréhendent ainsi la nature en exposant leur corps à la dureté des éléments, essayant de rejoindre le sublime, d’être là « au bon moment ». L’individu ne peut plus feindre ou jouer. Elle s’est également inspirée de la fresque de Uccello, le Déluge, poursuivant cette interprétation d’un motif récurrent dans son œuvre. Avec les Augures, en lien avec le De Rerum Natura de Lucrèce, les paysages sont accidentés au point d’incarner des fantômes. Ils sont les indices tangibles de notre lien avec le cosmos, de l’engloutissement, au milieu des signes et des images, avec lesquels nous nous débattons. Au milieu des tempêtes, qui devenons-nous, oracles ou héros ? Aurore Pallet dépasse la lecture classique du phénomène naturel, mobilisant les documents qui étayent la clarification du réel, dans une visée anthropologique. Toujours prêts à nous saisir des rôles offerts par le destin, nous luttons pour notre survie. En acceptant le kairos, nous saisissons l’opportunité qui jamais ne se représente à nous. Les orages et les tempêtes intéressent Aurore Pallet parce qu’ils sont des prétextes, des biais symboliques menant à une réflexion sur l’image mentale, l’instant qui précède un déclenchement, la transformation d’un état. Saisir le moment où tout est encore possible, où le monde n’a pas encore totalement basculé, c’est ouvrir la peinture au vertige du présent.
 
Théo-Mario Coppola
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